vendredi, novembre 18, 2005

Francophones vs Anglophones

Allo,

Je suis en train de me demander si je ne vous aurais pas traumatisés avec mes précédents messages... Voilà un autre texte "long" à lire pour vous faire suer un peu! Mais je voudrais surtout vous faire réfléchir... Mon chum est tout ce qu'il y a de plus anglophone et je travaille dans une compagnie anglophone. Je vis à Montréal. Je peux vous dire que ces deux textes ont vraiment fait rouler mon hamster! J'espère que ça sera la même chose pour vous...

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La Presse
Opinions, mardi 30 avril 1991, p. B3

Au revoir Québec...

Torge, Janet

Janet Torge est journaliste au réseau anglais de Radio-Canada

Dans quelques semaines à peine, je vais ranger dix-huit ans de vie à Montréal dans des caisses et des boîtes, et je vais retourner aux États-Unis, un pays où je n'ai pas vécu depuis vingt ans.
Je suis l'une de ceux et de celles dont vous avez récemment entendu parler dans un sondage CROP: «trois anglophones sur dix prévoient quitter le Québec». Certaines des personnes interrogées dans ce sondage ont invoqué la langue et la politique comme raison de leur départ; d'autres ont parlé d'emplois ou de situation économique. Si on m'avait posé la question, j'aurais répondu: «l'ensemble de ces réponses».

Mes amis et ma famille témoigneront du fait que j'ai été déchirée pendant longtemps par ce choix. J'aime le Québec. J'aime Montréal.

Les terrasses, le Festival du jazz, notre façon folle de conduire, nos réactions face au hockey, nos jérémiades quand il fait froid (comme si c'était une nouveauté à chaque année), les parties qui commencent à minuit, les marches dans le bas de la ville; par comparaison, il n'y a pas une place au Canada qui ne soit pas ennuyeuse.

En plus de quitter les lieux, je dois laisser de vieux amis qui sont devenus experts dans l'art de m'aider à rester émotionnellement stable. Je laisse aussi mon fils et des gens qui sont devenus «ma famille» au Canada. Au sud de la frontière, tous mes contacts de travail deviendront inutiles, ce qui, dans le journalisme, est pourtant essentiel.

A l'âge de 44 ans, je m'arme de courage et je pars rebâtir ma vie, presque à partir de zéro.
La réaction de mes amis à ma décision donne une bonne idée de la façon dont les deux groupes linguistiques voient maintenant la «situation» québécoise.

Mes amis anglophones sympathisent et comprennent ce que je fais. Certains d'entre eux me félicitent pour mon courage, et admettent qu'ils partiraient eux aussi s'ils n'avaient pas tant peur de l'inconnu. D'autres en profitent pour admettre que, pour la première fois, ils songent à faire de même. D'autres, enfin, sont jaloux du fait que je parte pour un endroit intéressant: nous sommes tous d'accord pour dire que nous préférerions aller en prison plutôt qu'à Toronto.
Par contre, mes amis francophones ne comprennent pas. Quand je leur annonce ma décision, l'incrédulité se lit sur leur visage. Leur silence crée un gouffre énorme et irréversible entre nous. Leurs commentaires et leurs questions reviennent tous à suggérer que les raisons qui justifient mon départ sont excessives. Dans quelques cas, en l'espace de quelques minutes, d'amie et collègue, je suis devenue une «maudite anglaise»; quelqu'un qui a rejetté la lutte des Québécois, et qui n'a pas l'intention, malgré les apparences, de vivre dans une province francophone.
Il est important pour moi que mon départ ne soit pas ramené à une simple statistique. Les temps ont changé depuis l'exode massif de 1976 et je veux qu'on se souvienne que je suis différente des anglos qui se sont engouffrés en panique sur la route 401 quand le PQ a pris le pouvoir et que la loi 101 est arrivée.

En 1975, après avoir vécu dans plusieurs villes canadiennes, je me suis finalement établie à Montréal pour élever ma famille.

J'ai été une bonne petite immigrante: j'ai accepté mon statut de minoritaire et j'ai respecté pendant des années ce que je croyais être les voeux de la majorité. J'ai suivi des cours de français, j'ai parlé français en public, j'ai lu les quotidiens francophones, et j'ai insisté pour contester mes comptes d'Hydro en français, même quand on me proposait l'anglais. J'ai voté pour le PQ, et j'ai coché «oui» au référendum, en me disant que toute lutte qui persistait pendant des décennies méritait d'être gagnée. J'ai placé mes enfants dans des garderies francophones, et, quand mon plus vieux est arrivé à l'âge scolaire, nous n'avons pas choisi l'alternative de l'immersion mais nous l'avons envoyé dans l'école francophone catholique du quartier, malgré nos origines juive et protestante.

Quand mes amis et ma famille des États-Unis venaient nous visiter et se plaignaient de l'absence de l'anglais sur les affiches, j'ai défendu cette décision comme un geste logique dans un endroit où la plupart des gens parlent français et non pas l'anglais. Je leur ai dit que j'appréciais le fait qu'à une courte distance de route on pouvait découvrir un pays étranger avec sa culture.
À chaque fois que j'allais en Ontario, en Colombie-Britannique ou dans les Maritimes, j'ai essayé d'expliquer pourquoi les Québécois francophones en voulaient aux Canadiens anglophones sur le plan constitutionnel. Et quand ils se demandaient pourquoi j'insistais pour rester, je leur énumérais les choses que j'aimais à Montréal et dans cette province. Et même si j'étais d'accord avec certaines de leurs critiques, j'étais très inconfortable quand ils les exprimaient: c'était une chicane de fanmille et ils n'avaient pas à prendre parti.

Mais vous m'avez perdue. Je ne peux pas dire que c'est à cause d'un incident particulier. Non. Ce fut une lente accumulation qui m'a amenée à me sentir désenchantée et de plus en plus exclue.
Je n'ai pas compris le Lac Meech. Pourquoi était-il plus important de garantir les droits du Québec que ceux des femmes et des autochtones? Une fois que le Québec a obtenu ses cinq conditions, pourquoi on ne pouvait pas étudier les autres demandes?
Je ne pouvais pas être d'accord avec le projet visant à empêcher les enfants d'immigrants de parler leur langue dans les cours d'école. L'important n'était-il pas qu'ils aillent à l'école française et qu'ils apprennent à vivre dans la langue de la province?

Et la crise d'Oka. Pourquoi le cri pour la souveraineté des Mohawks n'a-t-il pas été encouragé par la province qui désire le même rapport avec le Canada? Est-ce que le fait qu'ils parlent anglais est plus important que leurs droits comme premiers occupants de ce pays?
Ne vous méprenez pas: je peux vivre avec les différences d'opinion. Mais ce qui m'a troublée pendant ces événements, c'était le fait que lorsque je parlais à m'importe quel francophone, il devenait clair comme de l'eau de roche que, en tant qu'anglophone, je n'étais pas habilitée à faire des commentaires, peu importe ce que je disais.

Que faut-il faire pour être acceptés comme Québécois? Maintenant, nous parlons français. Nous respectons les lois linguistiques. La plupart de nos enfants sont bilingues, sans accent perceptible. Nous acceptons que cette province soit francophone avec un gouvernement francophone. Nous ne préparons pas de sombres complots pour revenir à l'époque des vendeuses unilingues anglophones chez Eaton. Certains d'entre nous applaudissent même au succès du «maîtres chez nous» sans lutte armée.

Tout ce qui nous reste, ce sont quelques institutions qui reflètent les efforts des anglophones dans cette province. Mais si les anglophones qui restent expriment le désir d'aider à bâtir l'avenir, les francophones doivent sûrement comprendre l'importance de préserver l'identité culturelle et les racines de ce groupe.

Ceux d'entre nous qui s'en vont maintenant ne sont pas responsables du problème. En fait, plusieurs d'entre nous sommes les plus ardents partisans du Québec; des gens qui ont patiemment essayé d'expliquer cette culture, qui ont insisté sur l'importance de la sauver, qui ont souligné l'apport du Québec pour le reste du pays.

Mais je suis épuisée. J'en ai assez de payer pour les crimes et les attitudes des anglophones qui sont partis depuis longtemps à Toronto. J'en ai assez de me sentir responsable pour les tablettes de chocolat Coffee Crisp sur les comptoirs des dépanneurs. J'en ai assez d'entendre parler des cocktails et des manteaux de vison du West Island. Cela n'a rien à voir avec ce que je suis.
Il y a plein d'anglos bilingues qui n'ont pas encore de projets précis de départ. Pour qu'ils restent ici, il faut qu'ils soient embauchés pour ce qu'ils peuvent apporter, et non pas pointés du doigt à cause de leur langue maternnelle. Quelques petits gestes pour montrer que nous sommes tous Québécois et que nous pouvons être des partenaires pour bâtir cette province pourraient freiner cet exode.

Quant à moi, je pars avec un peu d'amertume, et j'ai cédé à la tentation de l'exprimer de façon symbolique: je vais remplir mon U-Haul le 23 juin et je vais prendre la route le jour de la Saint-Jean-Baptiste.

Comme vous, je me souviens...mais de loin.

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Réponse de Pierre Foglia à l'endroit de Mme Torge:

La Presse

Nouvelles générales, samedi 4 mai 1991, p. A5

So long Janet

Foglia, Pierre

Janet Torge est journaliste au réseau anglais de Radio-Canada. Américaine, elle vit au Québec depuis 1975. Elle a écrit cette semaine dans La Presse une longue lettre d'adieu. Janet retourne aux États-Unis. Elle en a assez du Québec.

J'ai été une bonne petite immigrante... J'ai suivi des cours de français, j'ai parlé français en public, j'ai lu les quotidiens francophones et j'ai insisté pour contester mes comptes de l'Hydro en français... J'ai voté pour le PQ et j'ai coché «oui» au référendum...

Elle a aussi envoyé ses enfants à l'école française et consacré beaucoup de temps et d'énergie à défendre le Québec auprès de ses amis anglophones.

Pourquoi nous quitte-t-elle?

Je ne peux pas dire que c'est à cause d'un incident particulier. Non. Ce fut une lente accumulation qui m'a amenée à me sentir désenchantée et de plus en plus exclue.

Elle ne partage pas l'opinion de la majorité francophone sur le lac Meech, ni sur les lois linguistiques, ni sur la crise d'Oka. Mais, insiste-t-elle, ne vous méprenez pas: Je peux vivre avec les différences d'opinion. Ce qui m'a troublée pendant ces événements(...), c'est qu'en tant qu'anglophone, peu importe ce que je disais, je n'étais pas habilitée à faire des commentaires... Que faut-il faire pour être acceptés comme Québécois?...

Je suis épuisée. Au revoir Québec.

Au revoir Janet.

J'ai trouvé votre lettre très triste et douloureuse. Et, oserais-je l'ajouter, un peu pute. Résumons-nous: vous avez beaucoup aimé ce pays, mais ce n'était pas réciproque. Vous partez. On comprend ça. Mais pourquoi laisser croire que c'est l'anglophone qui fuit quand c'est l'immigrante qui n'en peut plus? Quand c'est l'amoureuse qui est déçue?...

Six personnes (c'est énorme en terme de statistiques non-sollicitées) ont attiré mon attention sur votre lettre avant même que je la lise: trois Italiens, une Francaise, un Portuguais et un médecin d'origine hongroise. Tous m'ont dit: «Lis ça, c'est important».

Tous sont francophones par inclination naturelle. Très loin de vos préoccupations. Votre lettre les a pourtant remués au fond de leurs tripes. Dans votre «je suis épuisée», ils ont reconnu leurs vieilles fatigues d'immigrant. Vous avez réveillé leur secrète envie de décrisser d'ici...

Comme vous, madame, des milliers d'immigrants retourneraient demain dans leur pays s'ils en avaient les moyens... Mais cela n'a rien à voir avec la langue parlée ici, avec la loi sur l'affichage, avec les droits des autochtones, avec la culture, le confort, l'économie. Cela a à voir, justement, avec la fatigue d'être immigrant.

On est immigrant pour toute sa vie. Certains s'y font, d'autres pas. Vous posez la question: que faut-il faire pour être acceptés comme Québécois? Rien, madame. Il n'y a rien à faire. Vous ne serez jamais acceptée comme Québécoise. Moi non plus. Aucun immigrant de la première génération. Je sais de quoi je parle. Voilà plus de 30 ans que j'ai débarqué et encore au moins une fois par semaine, un innocent pure laine met son gros doigt maladroit sur la différence: «Vous venez de quelle région de la France?» Ou une autre niaiserie. Ou on imite mon accent. Et c'est bien sûr parce que je suis Européen que je n'aime pas le baseball et le maïs en épis. Trente ans, madame, de ces conneries... Certains s'y habituent, d'autres pas.

Que faut-il faire pour être acceptés comme Québécois? Rien, je vous l'ai dit. Mais croyez-vous, madame, qu'il soit plus facile d'être accepté comme Américain? Il se trouve que mes deux soeurs sont Américaines, du moins elles en ont la nationalité, vivent aux États Unis depuis plus longtemps que moi ici, ne parlent plus le français, presque plus l'italien, ont épousé des «red necks» un peu gagas, pondu une chiée de petits Yankees dont un qui était dans le Golfe l'hiver dernier... Pensez-vous que dans leur quartier de la banlieue d'Oakland, elles sont moins immigrantes que vous et moi ici? Si je vous disais que leurs propres enfants étaient gênés de les voir arriver à l'école parce qu'elles n'étaient pas comme les autres mamans?

Et les Italiens, madame, savez-vous ce qui arrive aux Italiens en ce moment? Pour la première fois de son histoire, ce peuple migrateur accueille des immigrants chez lui, en Italie. Accueille? Vas-y voir! Comme, dit-on, pour du bétail? Étrille? Rudoie?

Que faut-il faire pour être accepté comme Italien? Rien. L'Albanais ne sera jamais accepté comme un Italien. Mes soeurs ne seront jamais acceptées comme Américaines, mon père n'a jamais été accepté comme Français (même après avoir vécu 65 ans en France) et vous ne serez jamais acceptée comme Québécoise et moi non plus.

Ce qui ne m'empêche pas de l'être, Québécois, remarquez bien. Certains immigrants le deviennent. D'autres pas. Un jour, je ne sais plus quand, j'ai su que l'espace que j'occupais participait d'un ensemble, d'une texture qui était le Québec. Et bon, j'étais donc Québécois. Et je n'avais surtout pas à me conformer pour le prouver à qui que ce soit. J'étais Québécois pour moi et que ceux qui en doutent mangent d'la marde, ce qu'ils pensent ne change rien.

Je ne sais pas si vous me suivez, madame Janet? Vous vous demandez ce qu'il faut faire pour être acceptés comme Québécois. Ce n'est peut-être pas la bonne question. Vous? vous sentez-vous Québécoise? Si oui, c'est un peu nono de s'en aller. Si non, vous pouvez rester aussi, des milliers d'années si ça vous tente, mais bon, puisque vous voulez partir...

So long Janet.

On veut bien agiter nos mouchoirs, mais, de grâce, ne vous faites pas accroire qu'on vous chasse...

Vous allez me trouver heavy, mais je vous jure que j'ai pour vous toute la sympathie du monde. D'ailleurs votre lettre ne peut que susciter la sympathie, particulièrement quand vous dites que vous avez envoyé vos enfants à l'école catholique du quartier (malgré vos origines juive et protestante)...

Je vois d'ici fondre les mamans francophones en lisant votre lettre, et se culpabiliser de votre départ. Vous dites des mots magiques dans votre lettre, vous dites: «J'ai appris le français. J'ai parlé français en public»... Comment vous remercier, madame?

Par une blague, tiens, qui vous fera sourire, j'espère. Supposons qu'après 15 ans de Finlande, vous en ayez plein votre casque des Finlandais et que vous leur écriviez pour leur dire combien vous les avez aimés au début, la preuveque vous les aimiez: vous parliez le finnois en public!
Je crains que les Finlandais, gens fort prosaïques, oublient de vous en remercier. Ils se diraient probablement qu'en Finlande, c'est bien la moindre des choses de parler le finnois en public, et tellement plus utile, pour se faire entendre, que le polonais ou le bas breton.

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Et puis? Ça fesse hein? J'attends vos commentaires!

Votre francophone-anglophone,

M. -xxx-

2 commentaires:

Anonyme a dit...

Ouuuuh...My god, ca fesse en effet darling! Foglia n'a jamais eu sa langue dans sa poche aussi...

Maisje crois qu'ils ont tous les deux raisons. Certains immigrants essaient le plus possible de s'intégrer à la culture québécoise mais nous les rejetons quand même car ils ne sont pas de souche québécoise.

De l'autre côté, il est important aussi de ne pas dire que nous les chassons! Le peuple québécois est une civilisation ouverte à toute les communauté. " Nous sommes fiers d'être Québécois". Nous prenons peut-être ce slogan un peu trop au sérieux (et quand je dis cela, c'est pour le côté raciste)....

So long Foglia!

Unknown a dit...

Martine!!! J'ai adoré lire les 2 lettres de La Presse que tu nous as bloguées!
Je côtoie plusieurs immigrants dont une amie extrêmement proche de moi et je peux témoigner de leur problématique à être toujours et éternellement immigrants pour les Québécois (toutes origines confondues!).
Je soulignerais que Foglia a raison quand il dit que Janet Torge ne devrait pas dire (elle l'a sous-entendue régulièrement tout au long de sa lettre d'adieu) que le Québec l'a chassée: elle ne se sentait tout simplement pas Québécoise!!! On peut être d'origine états-unienne (ah, quand est-ce que les gens vont se rendre compte que les États-Unis n'occupent pas le contiment américain au complet!!!) arabe, chinoise, européenne ou peu importe, habiter le Québec et se sentir Québécois! Malgré qu'il faut des nerfs d'acier pour justement se faire à l'idée qu'on reste une "minorité visible".
On se sent Québécois dans le coeur, peu importe ses origines, britanniques ou françaises d'ailleurs, ou ne le sent pas!!!
Ça ne me fait ni chaud ni froid que cette journaliste revienne aux États-Unis après vingt ans passés au Québec: je ne la connais pas, je me considère francophone multilingue, ouvert sur le monde et que, si elle ne se plaît pas ici, qu'elle essaie ailleurs. Bonne chance, sincèrement tout de même!
Dur-dur d'être immigrant(e) ou d'être né(e) de parents immigrants!